mardi 31 octobre 2023

Killers of the Flowers Moon

Quatre ans après l'exposition à son honneur à la Cinémathèque de Paris et son Prix Lumière à Lyon en 2015, Martin Scorsese revient en France présenter The Irishman, son dernier film fleuve somme, qui sonne le glas et paraphe son testament cinématographique. On retrouve en tête d'affiche son inséparable ami Robert De Niro, le revenant Joe Pesci et la première collaboration, tant attendue, avec la légende Al Pacino. Le film sortira uniquement sur la plateforme Netflix

Pour ma plus grande joie, j'ai fais parti des rares chanceux à l'avoir découvert sur grand écran et présenté par le cinéaste à Lyon.

The Irishman est un pur chant du cygne scorsesien, à la fois désespéré et pessimiste, totalement nostalgique et funèbre d'une durée de trois heures et demie. Le montage suit le rythme cardiaque de son héros principal : mourant pour terminer sous atmosphère, dévoré puis asphyxié par les remords. Le cinéaste joue sur le cinéma à l'ancienne de Sergio Léone, Arthur Penn où de son ami Francis Ford Coppola. Il y glisse aussi une forme plus moderne, avec le rajeunissement numérique que l'on retrouve dans les films plus commerciaux. 

Assez académique, Scorsese enterre pelletée par pelletée une Amérique vermoulue, dont les vers sont esclaves de la pègre au pouvoir. L'ensemble du traitement reste dans les thèmes de prédilections du cinéaste comme il le fait savamment depuis Les Affranchis ou Casino. Sauf sa dernière partie bien plus déprimante et mortifère.

Son film précédent Silence était clivant et moderne, violent et lumineux.  Un film exigeant qui s'inscrit comme un chemin de Foi s'approchant du cinéma de Tarkovski. The Irishman est l'inverse : il est mortifère et parle d'un monde révolu avec des mafieux qui sont passés à côté de leurs vies. 

J'adore ce perpétuel rabattement de cartes chez Martin Scorsese. Il propose toujours avec sérénité de nouvelles propositions cinématographiques. Le Loup de Wall Street et Silence sont deux contre points absolus. Tout comme auparavant pouvaient l'être Shutter Island et Hugo Cabret. Ses films sont entrecoupées par la réalisation de publicités, de documentaires et des pilotes de séries télévisées tous de bonnes factures (regardez le pilote de Vinyl à l'occasion, c'est un film).

Peu de temps après la sortie sur Netflix, on apprend que Robert De Niro et Léonardo DiCaprio seront réunis dans son prochain film : un western. Projet alléchant, d'autant plus que le scénario parle d'une page rarement traitée de l'Histoire des indigènes aux Etats Unis à la découverte du pétrole. Je pensais déjà à There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson. Et je n'avais pas complètement tort.

Quatre années supplémentaires se sont également passées pour voir le film se terminer, et même aller au Festival de Cannes. Martin Scorsese n'y était pas retourné depuis les années 80 avec La Valse des Pantins, qui a failli coûter sa carrière. Durant ces quatre années, il y a eu le Covid et beaucoup d'événements. Le marché du cinéma change radicalement de bord. Apple apporte alors son aide financière et heureusement pour nous le film peut être distribué en salles. Beaucoup de débats (stériles et débiles) sur le Cinéma d'auteur et commercial caricaturent Scorsese comme un détracteur de films à succès et/ou à la mode. Je ne développerai pas le sujet plus loin : à chacun sa vision du Cinéma. 

Alors que penser de Killers of the Flowers Moon ? C'est à nouveau du pur Scorsese. Et une nouvelle fois, on retrouve la durée fleuve de The Irishman mêlé la radicalité du montage lent qu'il avait proposé dans Silence. Son western est rythmé, cadencé comme un éloge funèbre, par deux ou trois notes musiques répétitives. On peut penser un peu à l'approche de L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford. Thelma Schoonmaker est une nouvelle fois au sommet de son art. Son rythme nous plonge dans le microcosme floral et poisonneux des Hommes des hautes plaines, pour de bien grandes peines. 

Tous ces individus sont alimentés par la cupidité. Cette dernière est une nouvelle fois au centre des enjeux, mais elle est particulièrement présente dans Le Loup de Wall Street, que le cinéaste démontrait de manière si virtuose, mais aussi si répétitive. On voit ce qui fascine Scorsese dans son sujet : le machiavélisme. Ici c'est l'Homme blanc qui s'empare quoiqu'il en coûte une terre pure et vierge. Sa présence répand la tumeur noire de l'âme humaine : un pétrole maléfique sans foi, ni loi. La géographie du cinéma de Scorsese cartographie ce territoire vierge à la manière d'un Casino, où la roulette du jeu est remplacée par celle du temps. Osage est une oasis de fric, une Suisse en plein milieu des Etats Unis, avec une autorité bien à part et insaisissable comme dans Gangs of New York

Robert De Niro interprète un personnage dense de secrets, toujours impressionnant de sadisme, entre grimage et  retenue, dont lui seul a le secret. Léonardo DiCaprio se glisse à nouveau dans un personnage torturé mais plus "benêt" que d'habitude. Mais comme dans Casino, ce sera le personnage féminin qui ajoute la touche supplémentaire d'un Classique : Lily Gladstone offre de l'émotion et de l'identité à toute la tragédie. Son jeu beaucoup plus naturel et silencieux met en relief le message et l'hommage de Scorsese. 

Comme une revanche de Gangs of New York, Scorsese réussit ici sa fresque historique comme il l'entend. Il a son director's cut, les moyens financiers au service de la sécurité et la maturité de son cinéma. Sans oublier sa confiance sereine de sa documentation scénaristique et son équipe technique (Rodrigo Prieto, toujours parfait). Depuis qu'il a reçu son oscar avec Les Infiltrés, réalisé Silence et, comme il le répète souvent, la fin de sa vie approchant : il nous offre sur un plateau de pétrole son ultime film sur l'Histoire américaine en s'éloignant de New York. Comme l'avait montré Sergio Léone dans sa trilogie Il était une fois, nous avons droit à une peinture de cette Amérique construite d'opportunisme et bâtie sur des meurtres déguisés. Tous les décors sont tapissés de sang qui jaillit et gît à même le sol pour se répandre insidieusement sur les mains, les visages de son peuple impuissant.

Pas d'entre acte non plus. Car pour Scorsese le mal se diffuse comme de l'insuline dans le corps d'une conquête de l'Ouest idéalisée. Cette dernière est irrémédiablement diabétique par tous les excès de l'argent et de la trahison pour contourner les (non) lois. 

La première heure fait penser au cinéma de Michael Cimino et La porte du Paradis : l'arrivée, la découverte avec une peinture baroque de la modernité et la richesse de la région. Il prend le temps de planter le décors mais aussi les personnages qui seront (comme souvent) scellés à leur destin. De Niro impose dans le rôle de propriétaire paternaliste. DiCaprio met l'accent sur le traumatisme, le côté frivole et impulsif de sa personnalité très primaire. On sait qu'il sera manipulé et manipulable facilement malgré l'amour sincère qu'il a pour sa femme.

La deuxième heure est plus scorsesienne. Le scénario décortique cette fausse apparence. "Les loups de l'image", cités dans l'introduction, empoisonnent à petit feu cette communauté en voie d'extinction. Elle est même doucement aidée par des meurtres. Cette partie rejoint le thème de la dilatation du temps qui passe et nous écrase, que le cinéaste met souvent au centre de ses derniers films. Il y a un côté absurde, désabusé et pervers de voir ces blancs opportunistes qui attendent que les aborigènes meurent pour toucher l'héritage ou l'assurance. Ces derniers passent une bonne partie de leur vie à n'attendre que ça. Martin Scorsese aborde la question du racisme, de la haine et des communautés oubliées en restaurant les actualités des premières émeutes raciales : Killers of the Flowers Moon est un film moderne et universel. 

L'arrivée tardive de l'enquête du FBI montre surtout que cette société est bâtit intégralement sur du pot de vin, du mensonge et de l'ignominie. On est plus proche de la démarche classique de Clint Eastwood (d'ailleurs J.Edgar Hoover, seulement cité dedans, a été réalisé par Eastwood et joué par DiCaprio) mais aussi celle de Francis Ford Coppola et de son indéboulonnable Parrain. Si elle peut paraître longue, je trouve qu'elle décuple l'absurdité du mal que peut engendrer les Hommes et le capitalisme. Jusqu'où sont ils capables d'aller ? Question une nouvelle fois purement scorsesienne qui s'approche du regard de Bong Joon Ho et de son fabuleux Parasite. D'ailleurs les Osages sont totalement lucides sur la situation et n'hésitent pas à employer ce mot.

La dernière partie fige la tragédie avec donc le personnage féminin. Comme souvent chez Scorsese, l'émotion passe par les femmes, et je pense notamment au Temps de l'Innocence, chef d'oeuvre souvent oublié. Comme toujours, les personnages sont condamnés à toutes les échelles. Le final est un audacieux hommage à cette petite histoire reliée à la grande Histoire, le pont du petit fait divers et la triste réalité. Martin Scorsese, accompagné entre autre par un autre puriste remarquable Jack White, a le dernier mot. 

Ce qui est remarquable reste la performance d'un cinéma exigeant comme celui là et qui marche en salle malgré sa longue durée. Cette année 2023 Babylon de Damien Chazelle est incroyable et Oppenheimer de Nolan étonnamment aride et dense pour un biopic historique old school.

Le film de Scorsese est différent mais il propose aussi une fresque historique qui parle des Etats Unis, d'un monde qui s'éteint avec un cinéma loin des standards du film plus commercial d'aujourd'hui. Peu de musique, du minimalisme, un rapport au temps lié à la psychologie de ses personnages. Mais surtout, à l'inverse des films de supers héros, on ressent les rouages et les dommages collatéraux des toutes les victimes. 

Les grandes franchises qui font exploser des villes à tout bout de champs avec des supers pouvoirs (sans enjeux (oups, c'est dit)) sont ici dans une galaxie bien lointaine. Martin Scorsese filme le contrepied total du "parc d'attraction" comme il définit si justement. Tout en minimalisme et avec un dépouillement total il revient à l'essentiel du carburant de l'art. 

Quand je pense à la scène de l'explosion où "il y avait trop de nitroglycérine", emportant bien plus que ce qui était prévu : elle est pour moi toute l'ironie de Scorsese sur l'Hollywood aujourd'hui. Ils n'y vont pas avec le dos de la cuiller, tout le monde le sait, mais les victimes aux alentours seront possiblement effacés par les débris et les flammes imprévues. C'est à dire le cinéma indépendant et une grande partie de la profession. 


Mais je n'irai pas plus loin si ce n'est que de vous pousser à aller le voir, mais en pleine forme. 


Et vous souhaite une bonne séance ! 


Si vous aimé ce film je vous recommande : 

La Porte du Paradis de Michael Cimino 

Little Big Man d'Arthur Penn 

There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson 

Ragtime de Milos Forman 

Casino de Martin Scorsese

vendredi 3 janvier 2020

Bilan cinéma des années 2010.

Une décennie de plus se tourne. Bien des choses ont changé ces dix dernières années. A commencer par mes goûts, mon esprit critique mais aussi le Cinéma sous ses formes et formats. La façon dont le cinéma est "consommé" a lui également évolué. 

Heureusement nous nous mettrons toujours d'accord : un grand film reste un grand film. Il en est de même pour une série. Bien que j'aille toujours dans les salles obscures, je me suis mis à regarder des séries, même des films, sur la plateforme Netflix. 

Au niveau des productions et du public consommateur, on ressent, surtout ces cinq dernières années, plus que jamais l'ère numérique et son écrasante communication qu'il y a autour. Il y a dix ans on ressentait déjà une fusion entre la série télé et le cinéma. Aujourd'hui elle scinde complètement les deux supports. Le cinéma est séparé en deux branches biens distinctes : la commerciale et l'indépendante. Idem pour la série dont maintenant un seul épisode peut avoir le budget d'un long métrage. Il y a des séries qui se suivent comme un immense film ou, au contraire, se suit sans vraiment fil conducteur. Cependant le choix étant tellement abondant que tout le monde termine par y trouver son compte à un moment ou à un autre. C'est l'essentiel.

La question à se poser : 

Pourquoi faire un bilan maintenant de cette décennie ? 

Nous ne sommes pas encore en mesure de savoir ce que sont ou ce qu'étaient vraiment les années 2010. Seul le temps nous dira de ce que l'on va retenir, artistiquement ou historiquement. 


Si je récapitule les films qui ont marqué le public et ou mon top personnel, je trouve que cela n'a pas beaucoup d'intérêt. Ce ne serait qu'une liste de plus, pas si intéressante, car tout dépend des goûts et des sensibilités de chacun. 

De plus je ne comprend pas toujours le goût du public de masse, surtout devant les films de Supers Héros, je ne trouve pas l’intérêt de faire une liste des films importants des années 2010. Cette dernière vous pouvez la trouver partout, dans n'importe quel top cinéma.

Etant assez actif sur Vodkaster, j'ai tout de même répertorier une liste des films qui m'ont marqués dans cette décennie. 
Une liste que vous pouvez voir 
en cliquant ici  


Tout est tellement différent et subjectif que les goûts ne se discutent pas, tout comme les émotions. Le Septième Art c'est aussi ça : des émotions et elles ne sont jamais vraiment objectives.  

Il y a tellement de facteurs qui entrent en jeu qu'il est difficile d'être objectif sur une oeuvre, sans aborder avec plus de précisions les contextes dans lesquels ils sont produits, sortis et acclamés. Ces vingt dernières années sont marquées par le changement rapide et la révolution technologique. Téléphones, tablettes, effets spéciaux, appareil photo de plus en plus performants, réseaux sociaux, engouement nostalgique d'une (vieille) franchise tout bouge à grande vitesse. Nous sommes dans le culte de la communication, de l'éphémère , de la vitesse et en plein dans la culture de l'image. Depuis 2010 nous sommes dans celle du téléchargement, du streaming et de l'instantané. 

Autant dire qu'au cinéma (comme la musique, la littérature et bien sûr la photographie) le produit (ou l'oeuvre) est quasiment mort né sans une grosse communication derrière. Même bien vendu, il sera condamné à l'oubli très peu de temps après sa sortie, noyé dans la masse des nouveautés. Trop de choix tue le choix. Nous ne prenons plus le temps de travailler les produits puis de les apprécier, les digérer lentement tout ce que l'on nous propose. 

C'est tout un système économique et numérique, fracturé par un fossé de plus en plus large et profond qui se remarque N'est-ce pas finalement ça les années 2010 ? 

Nous nous sommes tous rapprochés numériquement mais paradoxalement nous creusons encore plus les fossés entre les différentes classes sociales ? 2010 une décennie de fractures sociales ? Alors que le cinéma était un art populaire, il se scinde lui aussi par la mondialisation. 

L'art est une façon de prendre le pouls de la liberté d'expression d'un pays et les succès de comprendre les gens. Mais ce que nous cherchons au cinéma, c'est d'être divertit mais aussi d'en sortir grandit avec des thèmes universel ou un miroir sur notre monde. Le cinéma comme revendication c'est un peu moins d'actualité avec les réseaux sociaux. C'est toute la différence avec le cinéma avant les années 2000. 

Nous sommes tous en quête d'identité véritable, maintenant elle est de plus en plus virtuelle. Tout cela des cinéastes nous en parlent sous plusieurs formes. C'est pourquoi je souhaite faire un bilan de manière différente. 

Je vous propose donc de parler des années 2010 
à travers 5 films sortis durant cette période. 

Des films que j'adore mais qui je pense vont symboliser cette décennie par la suite. 


Avant de plonger dans le cas par cas, je me permet juste d'exprimer le fond de ma pensée. Depuis presque vingt ans, je trouve que les plus grandes perles créatives (du moins celles qui m'ont le plus marquées) se situent dans le cinéma d'animation. Proportionnellement parlant. Il y a un travail si minutieux du scénario, une alchimie si précise dans la mise en scène que l'on y trouve souvent la grâce et l'émotion si recherchée et remarquable des grands classiques du cinéma. Le cinéma d'animation est devenu un gage de qualité. Même une firme commerciale comme Pixar, les productions brillent de mille feux autant dans la forme que dans leur fond universel. Ce sont les seuls à rendre ces émotions avec beaucoup de simplicité, d'authenticité, de sincérité et de pureté, sur le territoire inattaquable de Charlie Chaplin.

Il existe des exceptions bien sûr et d'excellents film, que ce soit dans la branche indépendante et même parfois commerciale. Cependant il est de plus en plus compliqué de trouver des films intègres. La conjoncture fait qu'il est difficile de voir des jeunes talents exploser. Je ne retiens alors que deux jeunes grands cinéastes : Jeff Nichols et Damien Chazelle. Je peux mettre aussi Rian Johnson et Brad Bird qui se sont fait malheureusement brûler les ailes par Disney mais qui sont deux grands créateurs et metteurs en scène. Quant aux deux légendes que sont Martin Scorsese et Steven Spielberg, les deux amis septuagénaires,  restent toujours les maîtres du jeu autant par leur maîtrise formelle que pour la proposition de cinéma qu'ils nous offrent toujours film après film. Bien sûr je salue des cinéastes comme Christopher Nolan, Alejandro Gonzalez Innaritu, Alfonso Cuaron Guillermo Del Toro qui ont également de belles propositions de cinéma cela même si j'ai quelques réserves à propos de certains de leurs films. Ils sont incontournables. 

Pour ce qui est des acteurs, Leonardo DiCaprio est la star incontestable dans ses choix et ses interprétations. Oscarisé pour The Revenant, il l'avait déjà unanimement pour tous dans Shutter Island. Joaquin Phoenix prend son envol mérité en cette fin de décennie avec le succès du Joker. Le film confirme son talent hors norme qu'il a depuis plus de vingt ans, dès Prêt à tout de Gus Van Sant et qui a tourné avec les plus grands cinéastes et dans des grands films depuis ses débuts. Dans le même genre, Matt Damon sera peut-être le prochain grand acteur de l'ombre la décennie suivante ? J'espère. L'impressionnant jeu de Michael Fassbender, la constance de Michael Shannon ou encore Woody Harrelson, la renaissance de Matthew McCaunaughey sur le devant de la scène ou encore l'au revoir du grand Daniel Day Lewis dans Phantom Thread ont marqués la décennie. 

D'autres acteurs qui ont très biens choisis leurs rôles, il y a en premier lieu Ryan Gosling. Il joue dans Drive, Blade Runner, Lalaland et même First Man. Souvent mutique comme Steve McQueen, il peut être très drôle dans la comédie (The Nice Guys). Il sait être dans la justesse comme dans Lalaland et il y a dix ans dans Une fiancée presque parfaite. Il s'est même lancé dans la mise en scène avec Lost River. Dans la même reconnaissance, on peut saluer Jonah Hill, qui a changé de registre dès sa prestation excellente dans Le Loup de Wall Street et qui a réalisé un excellent premier film : 90's. On peut aussi relever qu'Adam Driver est l'outsider (le Dark Vador) que l'on attendait pas. Il tourne chez de prestigieux cinéastes comme  Spielberg, les Coen, Nichols, Scorsese, Jarmusch, Lee, Soderbergh, Eastwood, Baumbach ou même Gilliam. Plus discret mais tout aussi surprenants Channing Tatum et Robert Pattinson font leur petit bout de chemin. 

Côté actrice, malgré l'affaire Weinstein et toutes les nombreuses manifestations, le cinéma continue a malheureusement encore cantonner les femmes au second plan. Ce n'est pas les talents qui manquent mais il est difficile de trouver une carrière assez intègre de faute à des rôles féminins consistants dans les productions. Des actrices comme Kate Winslet, Charlize Théron, Cate Blanchett, Julianne Moore, Nicole Kidman, Emma Stone, Tilda Swinton sont obligées de tourner dans des grandes productions et dans des rôles parfois bien loin de leurs combats politiques, offrants même des oscars à la clé pour certaines. Jessica Chastain, Rooney Mara et Margot Robbie se démarquent un peu plus mais quand même bien difficilement. Malheureusement la place de la femme à l'écran à Hollywood est bien triste. Finalement en France c'est pas si mal. Il n'y a qu'à voir Marina Foïs, l'outsider parfaite enchaînant les bons rôles et les prestations de qualité. Grande actrice qui m'a marquée cette décennie reste l'allemande Nina Hoss dans le bouleversant Phoenix




- 5 - FILMS QUI CARACTERISENT LA DECENNIE 2010



1 - Snowpiercer - Le Transperceneige de Bong Joon-Ho (2013) 

Bong Joon Ho parle régulièrement des classes sociales, que ce soit dans The Host ou le dernier récompensé Parasite. Peut-être que Le Transperceneige est son exercice de style le plus assumé. La narration suit la conquête des wagons d'un train qui est l'allégorie de l'humanité, des classes sociales, du rêve américain. Lourd de sens est ce train à grande vitesse tournant sans arrêt autour d'une planète Terre glacée par erreur par l'Homme. Le cinéaste change de style à chaque wagon et revisite Spartacus de Stanley Kubrick et Soleil Vert de Richard Fleischer dans un univers post apocalyptique où y on décèle l'influence de l’inéluctable 1984 George Orwell. Notamment avec l'un des ses retournements finals qui "téléphone" énormément sur notre monde d'aujourd'hui, et malheureusement de demain.

Pour ce qui est du film c'est un concentré virtuose et très soigné du cinéaste. C'est d'une maîtrise totale dans tous les registres et sur l'oeuvre générale. Aussi à l'aise dans l'action que dans le plus simple champs contre champs, Bong Joon Ho s'affranchit des règles pour signer un medley de science fiction écologique. Entre bande dessinée, film de genre, politique, psychologique et même avec un super héros torturé interprété par Capitaine America Himself (Chris Evans). Quoi de mieux ? C'est le film à contre courant de tout ce qui se et s'est produit cinématographiquement durant toute cette décennie mais en plein dans son époque. 

2010 était tout simplement la décennie où l'on pouvait encore essayer de stopper, ou du moins freiner, la machine contre le réchauffement climatique. Cette allégorie pessimiste de l'Humanité située dans ce train, contrôlé par les riches et qui fonce droit sans but, sans destination sur des rails en suivant les croyances est extrêmement significative. En plus le films est dirigé par un chef interprété par Ed Harris, père du Truman Show (un des films emblématiques de la décennie précédente) qui utilise les petites mains des jeunes enfants pour huiler la mécanique du moteur de la locomotive. On parle des maillots de foot (ou autre) vendus des centaines d'euros et cousus par des enfants pakistanais pour quelques centimes ? Ce film est une mine d'or de symbolisme réalisé par un de mes réalisateurs préférés. 

La toute fin est un peu plus optimiste. Sans trop spoiler, je dirais qu'elle ouvre la porte sur l'émancipation culturelle. Si on lève le voile des croyances des hommes sur les images qu'ils peuvent voir ou qu'on dépeint. Bong Joon Ho aborde ces nombreux thèmes frontalement par moment de manière subversive mais aussi dans l'ouverture. Alors que le cinéma américain se transforme en un train fantôme, Bong Joon Ho signe le train subversif. Et si les gens ressortent partagés du film, ils n'en ressortent pas indifférents. 

Dans la même idée, on peut aussi relever que le troisième opus de La planète des singes (Suprématie) de Matt Reeves, Logan de James Mangold ou dans une moindre mesure le Joker de Todd Phillips - et qui sont des blockbusters américains - se retrouvent un peu dans une même démarche. Ce n'est pas de la Science fiction aussi radicale que chez Bong Joon-Ho mais ce sont des (ré)adaptations (de livres, de BD et de films) très référencées sur le cinéma des années 60 et 70. Tous se déroulent dans un monde apocalyptique où les Hommes, les Super Heros, la société sont tous mourants, en train de se fissurer ou même de pourrir. On y observe les limites de la nature humaine et la mère nature reprendre ses droits.  



2 - Night Call de Dan Gilroy (2014) 


C'est un premier film, celui du scénariste Dan Gilroy. Et comme Paul Schrader à ses débuts (génial Blue Collar), la mise en scène est sobre et incisive pour mettre en valeur au maximum les personnages et les grosses qualités du scénario. Inspiré sans aucun doute de Taxi Driver de Martin Scorsese et Le Voyeur de Michael Powell, Night Call se détache très rapidement de ces références pour prendre rapidement le chemin du pamphlet moderne sur bien des égards. Le cinéaste parle du monde d'aujourd'hui à travers les traits (flippants) de Jake Gyllenhall, ici toujours à l'heure actuelle dans son meilleur rôle. 

Le rêve américain aujourd'hui ne peut s'accomplir qu'en vendant des images morbides, malsaines et surtout avec de la mise en scène. Il faut être dénué de tout sens moral comme le montre le personnage principal jusqu'à la fin, pour parvenir à ses fins. A travers les médias et la télévision, le pouvoir de l'image et de son exploitation aujourd'hui, au point presque de provoquer les accidents pour avoir un scoop, est pointé du doigt et remet en cause notre façon de consommer les programmes, les faits divers et surtout les actualités.  

Gilroy va plus loin, il parle du milieu du travail aujourd'hui. Gyllenhall est allégorie de la start up, toujours là au bon moment et au bon endroit, pour revendre au plus cher ce qu'il a exploité des images (ou idées, concepts) inédites. Cela ne se fait pas seul, il s'entoure de stagiaires qui ne comptent pas leurs heures et efforts (interprété par le prometteur Riz Ahmed) et n'hésite pas à le sacrifier. 

Sous l'allure de ce polar, on retrouve peut-être ici ce qu'il y a de plus parlant sur notre société actuelle. La trilogie de la Frontière écrite par Taylor Sheridan dont le remarquable Comancheria de David MacQuenzie peut figurer dans les incontournables du genre. Même le frénétique  Loup de Wall Street de Martin Scorsese pourraient figurer aussi dans cette catégorie par leur message très moderne et dans des genres différents, je trouve que Night Call est encore plus universel et symbolique. Ses thèmes parlent à tous car nous sommes dans la culture de l'image et appuie là où ça fait mal : la façon dont on consomme ces images. 

Night Call en révèle des coulisses peu glorieuses (Nightcrawler en anglais signifie Ver de terre) et livre une étude sur le genre Humain captivante. La recherche permanente de plus de détails les plus morbides et racoleur. Jusqu'où peut on fixer ou délimiter les règles de filmer ? On pense aussi à un des meilleurs films des années 90 Tesis d'Alejandro Amenabar. Finalement le mal n'est pas là où on le pense à la fin et on se retrouve comme chez Scorsese, Friedkin ou Carpenter ; dans un monde où le mal est partout. Ce dernier reste la seule arme et instinct de survie dans notre société. 



3 - Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve (2017)


Suite mal aimée et mal accueillie (à tort) du film culte de Ridley Scott. C'est pour moi le meilleur film de Villeneuve et non pas uniquement pour sa forme époustouflante (il nous a habitué auparavant) mais aussi pour les nombreux sujets qu'il aborde à travers la science fiction. 

Le cinéaste prolonge l'univers de Blade Runner en creusant le côté contemplatif et se détache de Ridley Scott en étant très personnel. Il se rapproche plus de Tarkovski et Jodorowski. Outre la poésie visuelle, Blade Runner 2049 est le parcours initiatique d'un homme robot (Ryan Gosling) à la recherche de son identité et d'une quête. Villeneuve parle du futur et la confrontation, l'intégration de l'homme et la technologie. Plus globalement l'opposition du réel et du virtuel. C'est visionnaire. 

Que ce soit dans son association : la place de la robotique dans l'aide de l'Homme et de la technologie dans cette société dominée par l'illusion dans une ville badigeonnée de publicité. 

Que ce soit dans les intérêts des deux parties : avec la scène d'amour à trois qui est bluffante et lourde de sens. Cette dernière fait oublier Her de Spike Jones et Ex Machina d'Alex Garland en deux plans trois mouvement et nous interroge sur la façon de voir l'amour par la suite. La frontière entre l'homme et le robot et l'hologramme est mince mais sa fusion n'est pas si évidente que cela. 

On ressent une opposition entre le racisme des hommes sur des robots qui ont pris leurs emplois. Quand Ryan Gosling rentre chez lui et se fait harceler et sa déco de porte avec des tags "Saletés de Robots". Fissure toute à fait crédible, pertinente et percutante. Ce qui se remarque on ne peut plus que jamais rien que quand on va faire les courses entre les caisses rapides ou avec des hôtesses, ou encore la césure des commerces de proximité et  des boîtes comme Amazon. 

Le film dégage bien d'autres thèmes tellement il est riche thématiquement. Le personnage de Jarde Leto résume tous les "méchants" de la décennie, des manipulateurs et homme d'affaire véreux anti charismatiques et assez nuancés. Ce film fait un pont merveilleux et onirique entre le cinéma commercial et indépendant comme on en voit si peu aujourd'hui.

La rencontre entre Gosling et Ford, sous fond d'hologrammes enrayés, parle de la mutation de la représentation visuelle du spectacle et du cinéma. Maryline Monroe et Elvis Presley sont ressuscités technologiquement depuis longtemps dans le film et sont même désuets au fin fond d'un casino à l'abandon. Aujourd'hui on peut suivre des meeting avec un hologramme, on pense refaire des concerts avec des légendes (Michael Jackson, Freddie Mercury) et même recréer des icônes au cinéma comme James Dean. 



4 - Silence de Martin Scorsese (2017) 


Sorti également la même année que Blade Runner 2049, Silence a aussi un point commun : il parle de la foi. Les deux films sont opposés par le genre et l'époque mais sont contemplatif des chefs d'oeuvre à la portée universelle. 

En tant que grand fan de Martin Scorsese j'aurai pu choisir n'importe lequel mais c'est bien Silence que je préfère mettre en avant. Il signe l'accomplissement absolu de sa veine religieuse entamée trente ans auparavant avec La dernière tentation du Christ.  

Le cinéaste est au sommet de sa maîtrise de mise en scène. Le temps l'a rendu bien plus que mature pour un sujet aussi sensible. Formellement, il se renouvelle à nouveau dans des décors naturels, sans musique et avec des plans qui s'éternisent, soit à contre pied du frénétique Loup de Wall Street son précédent film. C'est une oeuvre personnelle, tout dans l'accalmie et la sobriété qui parle de la place de la religion en général, dans notre entourage, notre société et notre monde.

Sans être pessimiste, Scorsese pointe le doigt sur les limites de la foi. La narration suit le parcours d'Andrew Garfield et rend le personnage de plus en plus antipathique par sa folie, son obstination. Le film nous interroge et retourne au plus profond de nous même. Il laboure viscéralement plusieurs zones de confort sur notre pensée et la place de l'égo, des croyances de chacun. Quelle est la frontière entre celui le messager, le diffuseur de bonne parole, le sauveur et celle d'un extrémiste religieux ? En voulant sauver des vies combien sacrifie-t-on ? 

Les années 2010 s'est vu développer différentes idéologies qui ont abouties à de nombreuses césures de la société et pouvant aller jusqu'à de tristes attentats dans des pays en paix. Avec le développement d'internet ou pas, l'Homme a toujours besoin de s'accrocher à une croyance pour donner un sens à sa vie ou à son existence. L'endoctrinement et la radicalisation des personnes oubliées, marginales est une actualité dont on ne peut pas nier cette décennie. L'idée en elle même est effrayante. J'ai toujours trouvé ça glaçant de voir un lavage de cerveau, un changement de vie, de pensée et d'éthique aussi radical au point de sacrifier sa vie pour une lutte finalement obscure, juste par la manipulation et la force des mots. 

Cela s'applique à toutes les échelles bien entendu. Jusqu'où peut on imposer ses idées religieuses, culturelles, familiales... ? Finalement Scorsese ne donne pas de réponse, il dresse un constat qui fait réfléchir certes mais qui montre, démonte finalement l'engrenage dans lequel nous sommes au quotidien. La place de l'extrémisme, de la raison et aussi de notre Histoire, de notre civilisation. 

Le prisme prit par le cinéaste renvoie bien sûr aux racines de la conquête de l'Amérique mais aussi aux nombreuses guerres de religions, politiques et les victimes collatérales des actes par les obstinations des Hommes. Bien que le thème récurrent du choix du bien et du mal est encore là, Silence ne ressemble à aucun autre de ses films. Mais aussi à tous les films que j'ai vu jusqu'à aujourd'hui. Cela parce que Scorsese est plus apaisé et serein qu'auparavant et parle des démons, des tourments et des questions fondamentales avec beaucoup de pudeur et de pertinence. Il atteint les grandes oeuvres de Kurosawa, Kubrick, Tarkovski. 

"Regarder un film de Stanley Kubrick c'est comme regarder le sommet d'une montagne depuis la Vallée. On se demande comment quelqu'un a pu monter aussi haut" disait Martin Scorsese. 

Avec Silence, le cinéaste a (définitivement) gravit et conquit la montagne sacrée du septième art. 




5 - Zootopia de Byron Howard, Rich Moore et Jared Bush (2016) 


Pour terminer sur une note un peu plus "optimiste" ou joyeuse que les quatre précédents films présentés, je termine par cette pépite dont je n'attendais pas autant à sa sortie. Surtout de la part de Disney. C'est tout simplement le meilleur de la firme, hors Pixar, depuis des années et je dirai même Le Roi Lion. Bien qu'il revisite le film noir des années 40 et le genre du buddy movie en vogue dans les années 80 : c'est leur film le plus audacieux et moderne que la firme ait produit depuis des années. 

S'inspirant de la bande dessinée Blacksad de Juanjo Guarnido, les réalisateurs ont décidés de parler du monde et de l'Amérique d'aujourd'hui avec des animaux. Oublions les fables de la Fontaine, on est plus proche des romans de Raymond Chandler et le cinéma sensible et social de Franck Capra. En plus d'être un régal d'animation, l'écriture est plus destinée aux grands enfants (que je suis) qu'aux plus petits.  

Zootopie c'est surtout la peinture du monde contemporain, parsemé d'humour, d'émotion et de noirceur, esquissée avec grâce à l'aide d'une écriture à la fois dense et légère. Dans ce buddy movie associant un renard et une lapine, on se retrouve dans une société où tous les clichés, que la firme a elle même crée avec le temps, se retrouvent démontés un par un et utilisés pour en signer un pamphlet sur la tolérance. Le scénario joue et déjoue ces clichés pour montrer une société divisée par les croyances, la peur et les médias (très cher à David Fincher) alors qu'ils vivent tous en communauté et se retrouvent dans le même quotidien. 

A travers un parcours initiatique et d'une touche féministe résolument dans l'air du temps (et mouvement de la décennie), Disney montre que la vie quotidienne, d'une femme et l'obstination sur un objectif n'est pas simple. Il montre aux plus jeunes non plus une version fausse de la réalité mais qu'il faut s'accrocher pour obtenir ce que l'on veut au quotidien. La démarche est superbe, il faut apprendre à connaître les autres avant de les juger et les mettre dans une catégorie dont la société nous étiquette tous par notre classe. Des valeurs que beaucoup de générations ont perdues et qui sont aussi en train de se cassez actuellement. Terminé les princesses et les mirages, Zootopie c'est le quotidien avec ses émotions et ses douleurs, ses inégalités et une teinte de noirceur que l'on a pas vu dans les Classiques de la firme depuis très longtemps. 

Alors que les partis extrêmes, le racisme et la haine se ressent de plus en plus entre les différentes communautés, se rejetant toujours la faute ou responsable des crises économiques et sociales les unes sur les autres, le message de Disney est vraiment essentiel. Tout est remarquablement distillé et cela aurait pu être niais, larmoyant ou gros sabots mais non. Absolument pas car le scénario et les cinéastes n'en font jamais trop et restent justes du début à la fin. Ils se permettent en plus d'être drôle. Très drôle et n'oublie jamais de donner de la place aux personnages. 

Rien dans Zootopie est anecdotique, les seconds personnages sont même très biens écrits et confirment la qualité du film. Finalement je termine aussi sur ce film là pour la simple et bonne raison que c'est le plus emblématique de cette fin de décennie. Bien qu'il y ait toujours des fractures, de la violence, une difficulté de vivre partout autour du monde, il y a un élan de solidarité qui se mobilise de plus en plus entre les populations. Les jeunes doivent penser à Zootopie qui finalement est un miroir de notre société bien plus juste que beaucoup de productions actuelles. 

Quelque soit la religion, le parti politique et les parents (passés, présents ou futurs) il y a la prise de conscience que le monde entier va a sa perte écologiquement. Le réchauffement climatique ne nous annonce malheureusement pas de meilleurs jours devant nous, où que l'on soit autour du globe. La boucle est bouclée avec le Transperceneige que je vous ai présenté en premier et on aura besoin de la solidarité de Zootopie pour s'en sortir.


Maintenant nous verrons bien comment vont se passer les années 2020. 


Quelles soient plus pessimistes à la Mad Max ou plus optimistes comme dans A la poursuite de Demain, il va falloir de l'union pour vaincre bien les inégalités, la peur, les amalgames et les épreuves difficiles qui nous attendent dans les décennies à venir, nos générations futures. 

Heureusement le cinéma, et l'art en général, nous offre de belles libertés d'expressions et des parenthèses enchanteresses. Pourvu que ça dure. Encourager la liberté d'expression ne serai ce qu'en allant voir des films qui ont du fond devient un acte militant à notre hauteur de cinéphile. Puis en plus c'est là que se trouvent souvent les meilleurs crus. 



mercredi 1 janvier 2020

Top 10 films 2019

2019 c'est la fin d'une décennie, le temps de régler les comptes. 

Pour Quentin Tarantino et Martin Scorsese, deux grands cinéastes connus pour leur grande cinéphilie, leur patte et influence indéniable dans l'Histoire du Cinéma, c'est tout simplement la grande classe. Tous les deux signent deux grands coups de maître. Ce sont aussi les chants du cygne mélancoliques de cette belle année cinéma.

L'un est sorti en salle, l'autre sur une plateforme. Symbolisation parfaite du cinéma aujourd'hui. Profitons-en car il y a tout de même pas mal de risque que cela ne dure par longtemps, vu l'uniformisation des supports mais surtout de la créativité. Que ce soit Once Upon a time in Hollywood ou The Irishman, ce sont des introspections des deux cinéastes dans leurs filmographies respectives et respectées. En plus d'un rendez vous d'acteurs iconiques absolument jouissif et l'aboutissement absolu de deux des plus grands cinéastes contemporains, ce sont des grands films sur l'Amérique. L'heure des bilans. 

Une année particulièrement sous le signe de la rétrospection car on peut le voir aussi chez Robert Zemeckis. Le réalisateur de Bienvenue à Marwen revisite toute sa filmographie et nous livre une oeuvre personnelle que je trouve particulièrement virtuose, audacieuse et même bouleversante. C'est son meilleur film depuis des années, qui vient se glisser entre Qui veut la peau de Roger Rabbit et Seul au Monde. Immense coup de Coeur avec un Steve Carrel enfin dans un rôle à la "hauteur" de son talent. 

2019 sera (enfin) la Palme d'Or pour Bong Joon Ho avec le génial Parasite. Introspectif sur son oeuvre le cinéaste signe un "Transperceneige à la verticale" cependant on ressent la touche Claude Chabrol ou Dino Risi, Ettore Scola. On ne peut passer à côté de ce nouveau chef d'oeuvre du cinéaste qui a connu un véritable succès en salle. Dix ans après l'oublié Mother, justice rendue.

Toujours au Festival de Cannes, introspectif encore une fois, très inspiré de huit et demi de Fellini, Almodovar signe son testament avec Amour et Gloire. C'est un excellent film mais contrairement à Parasite, le film est beaucoup plus policé, calibré que d'habitude pour un Almodovar. L'impression de revoir son cinéma avec moins d'émotion que Volver et une démarche moins radicale que La Piel Que Habito. "Pedro" Banderas tient là quand même un de ses meilleurs rôles. Grand film.

Introspectif une fois encore chez Pixar qui signe un quatrième opus (dispensable) de la saga Toy Story. On retrouve un peu tout ce qu'à proposé la firme de meilleur dans la décennie (Vice Versa, Coco) mais cette fois avec un regard plus mélancolique développant le personnage de Woody. C'est virtuose et s'impose comme une belle conclusion, cela même si la fin du troisième était suffisante. Toy Story 4 est agréablement plaisant.

Outsider, François Ozon se retrouve souvent dans mes coups de coeur. Avec Grâce à Dieu il signe son meilleur film à l'heure actuelle. En tout cas son plus bouleversant et essentiel. En toute sobriété le cinéaste s'attaque à un sujet sensible, avec la crème des acteurs français. D'une écriture toute en délicatesse et justesse, le cinéaste vise juste et mettra d'accord tout le monde sur la monstruosité des faits. Cela que l'on soit religieux ou non, juste des personnes avec un peu d'humanité. Le film est parfaitement nuancé et poignant, il mérite tous les César.

La chute de l'empire américain signe le retour de Denys Arcand et clôt une trilogie entamée il y a trente ans. Libre comme l'air, le cinéaste signe un troisième opus sur le monde actuel des paradis fiscaux avec beaucoup de désinvolture. Comme chez Bong Joon Ho les genres sont mélangés pour notre plus grand plaisir et les acteurs s'en donnent à coeur joie. Bien mieux que The Big Short et moins démonstratif que Le Loup de Wall Street sur le sujet. L'humour et le capitalisme peuvent faire bon ménage durant le temps de ce film exemplaire. 

Oscarisé cette année, Green Book signe le retour de Peter Farrelly dans un registre autre que la pure comédie. 2019 marque la mutation des réalisateurs de comédies comme Adam McKay (Vice) et Todd Phillips (Joker), c'est un oscar mérité. Il y a longtemps que je ne validais pas les films oscarisés et celui là le mérite. Simplement car on retrouve un film humain porté par deux acteurs exceptionnels dans une histoire finalement pas si classique. Ce n'est pas un remake de Miss Daisy et son chauffeur ni d'intouchables, c'est bien mieux. Le film parle encore une fois d'une Amérique qui perd ses racines, comme le raconte Tarantino et Scorsese, de manière très académique dans la forme mais dans le bon sens du terme. On retrouve le cinéma de Capra, Wilder et même Lumet dans Green Book car il est remarquable de sensibilité et de justesse, contournant tous les pièges du genre. Ce n'était pas gagné.

Le jeu du Cluedo et les romans d'Agatha Christie se retrouvent sous la plume et la caméra de Rian Johnson dans A couteaux tirés. C'est sans prétention, très drôle et ludique avec un poil de politique actuelle. Sans aller dans la démonstration magistrale de l'intrigue à tiroir et suspense de Mankiewicz, Mamet ou Altman, Johnson confirme qu'il est un cinéaste rafraîchissant et créatif. Il manipule bien mieux les vrais (ou faux) couteaux que les sabres laser. Excellent divertissement au casting étincelant. 


Jonah Hill a bien retenu la leçon des films de Judd Appatow : il a gardé le meilleur et a surtout enlevé l'heure de trop. Il signe avec 90's un sublime teen movie sur la décennie des années 90, cela que ce soit formel mais aussi sur le fond. Hill parle lui aussi d'une Amérique en pause, celle des années 90. Cette décennie cristallisée entre deux générations : celle des années 80 plus rebelle et celle des années 2000 qui sera plus numérique. Un bijou.

La grande palme de l'originalité revient à Border. Brillant en tout point, je souligne la mention spéciale pour les acteurs, sous un maquillage "monstrueux", réussissent une performance incroyable. C'est un film atypique comme on en voit nulle part ailleurs tout comme dans le film d'animation le brillant J'ai perdu mon corps de Jeremy Clapin. Je les ai préféré au Joker et même Midsommar simplement parce que Phillips et Aster restent trop sur des rails de leurs références. Ce qui n'est pas le cas d'Abbasi et Clapin qui utilisent radicalement la grammaire scénaristique et cinématographique pour faire exploser les émotions et exprimer leur créativité débordante. 

Impossible donc de passer à côté du phénomène Joker de Todd Phillips. Trop ancré dans les rails de La Valse des Pantins et Taxi driver dans un premier temps, le film est une réussite dans son dernier tiers. Puis cartonne car il offre du cinéma très seventies, psychologique et politique dans le genre du film de superheros souvent dénué de tout cela. Un film puissant qui consacre Joaquin Phoenix sur le devant de la célébrité. Le Joker, c'est bien lui avant tout.

Midsommar d'Ari Aster. Après le mi figue mi raisin Hérédité, Aster monte un grand pas en avant en revoyant à sa manière Le dieu d'Osier de Robin Hardy. Comme Suspiria l'an dernier c'est formellement brillant, audacieux et rempli de trouvailles mais un peu long au point d'en voir les défauts d'un scénario parfois un peu light. Mais ça reste quand même une proposition de cinéma de haute volée. Sensations et traumatismes assurés. 


Mes 10 films de l'année : 

Parasite de Bong Joon Ho
Once Upon A time in Hollywood de Quentin Tarantino
The Irishman de Martin Scorsese
Grâce à Dieu de François Ozon
Border d'Ali Abbasi

90's de Jonah Hill
Bienvenue à Marwen de Robert Zemeckis
La chute de l'empire américain de Denys Arcand
Green Book de Peter Farrelly
J'ai perdu mon corps de Jérémy Clapin

J'ai bien aimé aussi :

A couteaux tirés de Rian Johnson
Joker de Todd Phillips
Midsommar d'Ari Aster
Douleur et gloire de Pedro Almodovar
Les Misérables de Ladj Ly

J'accuse de Roman Polanski
Le Mans 66 de James Mangold
Toy Story 4 de Josh Cooley
Une intime conviction d'Antoine Raimbault
Undercover : une histoire vraie de Yann Demange



Meilleurs documentaires


Rolling Thunder Revue de Martin Scorsese, 
Le 13ième d'Ava DuVernay 
Eric Clapton Life in 12 bars de Lili Fini Zanuck. 


Meilleure bande originale composée
Ex Aequo Dan Levy J'ai perdu mon corps et Bobby Krlic Midsommar

Meilleure bande originale précomposée
Ex Aequo 90's et Once Upon a Time in Hollywood.


Meilleure animation : J'ai perdu mon corps
Meilleur son : Jeremy Bowker Bienvenue à Marwen
Meilleur Montage : Jim Mo Yang Parasite
Meilleure photographie : Robert Richardson Once Upon A time in Hollywood


Meilleurs dialogues : Quentin Tarantino Once Upon a Time In Hollywood
Meilleur scénario tiré d'un roman : Steven Zaillan The Irishman et Ali Abbasi, Isabella Eklof et John Ajvide Lindvist pour Border
Meilleur scénario original : Quentin Tarantino pour Once Upon A time in Hollywood et Bong Joon-Ho pour Parasite

Meilleurs réalisateurs

Martin Scorsese, Quentin Tarantino, Bong Joon Ho et Robert Zemeckis

Meilleur Acteur : Ex aequo Leonardo Di Caprio dans Once Upon A Time in Hollywood et Joaquin Phoenix dans Joker.

Meilleure actrice : Eva Melander (Border

Meilleur second rôle masculin : Brad Pitt dans Once Upon a time in Hollywood (et en bonus Ad Aastra)

Meilleur second rôle féminin : Merritt Weaver dans Bienvenue à Marwen (et en bonus Unbelievable et Marriage Story).

Casting d'honneur : Al Pacino, Robert De Niro, Joe Pesci, Harvey Keitel pour The Irishman.





Quelques découvertes de cette année : 

Le Pont de la Rivière Kwai, Lawrence d'Arabie et Docteur Jivago sont sans aucuns doutes les films plus connus de David Lean. Après une très belle rétrospective sur le cinéaste, je vous recommande fortement Brève rencontre et La fille de Ryan. Pour les plus curieux, ses adaptations des romans de Dickens De Grandes espérances et Oliver Twist valent le coup d'oeil dans sa première période. La route des Indes clôt parfaitement sa filmographie. 

Au festival Lumière, j'ai découvert enfin Tucker de Francis Ford Coppola et j'ai adoré. Un grand film du cinéaste familial comparable aux plus grands films de Capra, avec un Jeff Bridges optimiste et brillant. 

Un classique du cinéma Fantastique : Le Village des Damnés de Wolf Rilla. Une série B  excellente qui n'est pas sans rappeler l'excellent film de Don Siegel L'invasion des profanateurs de sépultures. A voir sans hésiter. 

Toujours en Angleterre, je recommande Bloody Kids de Stephen Frears, une perle située entre Les 400 coups de Truffaut et Scum d'Alan Clarke. 

Un western qui paye pas de mine comme ça mais qui vaut quand même le coup d'oeil pour son scénario assez original : Bravados d'Henry King avec Gregory Peck, toujours impérial. 

Retrospective en cours d'Andreï Tarkovski, Mike Leigh, Jean Pierre Melville et Henri George Clouzot. 

2020 sera l'approfondissement des filmographie d'Otto Preminger, Douglas Sirk, Elia Kazan et Werner Herzog.


Meilleure série : Mindhunter (saison 2).

Meilleure mini série : Dans leur regard et Unbelievable (Netflix). 

Meilleur album : Kiwanuka de Michael Kiwanuka. 

Meilleures lectures : Just Kids de Patti Smith, Life de Keith Richards, Roman par Polanski de Roman Polanski et Friedkin Connection de William Friedkin.



Je vous souhaite à toutes et à tous une excellente année ( cinématographique ) !

mardi 1 janvier 2019

Top 5 des films 2018

Que ce soit chez Paul Thomas Anderson, Luca Guadagnino, Pawel Pawlikowski ou encore Robert Mulligan, mes coups de coeur cinématographiques de cette année 2018 sont sous le thème de l'amour.  



L'amour sous toutes ses formes également récompensé par l'académie des Oscars avec le film de Guillermo DelToro The Shape of Water. Comme toujours des surprises, des déceptions mais aussi de superbes redécouvertes avec un cinéma français un peu plus honnête que d'habitude dans la comédie, quand on prend la peine de bien les sélectionner. 


1 - Phantom Thread de Paul Thomas Anderson.


Pour la dernière de Daniel Day Lewis, Paul Thomas Anderson lui taille un film à la mesure de son talent, complètement démesuré. Une sublime histoire d'amour vénéneuse et virtuose portée par l'interprétation et un cinéaste au sommet de son talent. Sans aucun doute un futur classique. 





Un exercice de style virtuose en tout point, qui sur le terrain du cinéma des Coen, d'Eastwood et d'Arthur Penn le tout sans caricature et nous offrir peut être l'un des plus grands films de ces dernières années. A ne pas rater. 


3 - Parvana une enfance en Afghanistan de Nora Twomey.


Le cinéma d'animation est ce que l'on retiendra la plus avec le temps de ces 20 dernières années et Parvana fait partie de ces nombreuses pépites qui vont s'ajouter aux nombreux chefs d'oeuvre du genre. Une histoire forte et émouvante et visuellement éblouissante. 


4 - Cold War de Pawel Pawlikowski.

Noir et blanc sublime, une histoire d'amour poignante et interprétation subtile, un film qui hante pendant et longtemps après la séance. Mordant et magnifique.


5 - L'île aux chiens de Wes Anderson. 

Wes Anderson signe un film aux techniques d'animations audacieuses et sublimes mais aussi et pour la première fois de sa carrière décide de parler politique. Il y a de quoi se lécher les babines pendant plusieurs visionnages. 


J'ai beaucoup aimé



Call Me By Your Name de Luca Guadagnino
Mission impossible fallout de Christopher McQuarrie
Tully de Jason Reitman
Silent Voice de Naoko Yamada
Whitney de Kevun McDonald 
Moi Tonya de Craig Gillepsie
Girl de Lukas Dhont 
Burning de Lee Chang-Dong
BlacKkKlansman de Spike Lee



J'ai bien aimé



Hostiles de Scott Cooper
First Man de Damien Chazelle 
En Liberté de Pierre Salvadori
Larguées d'Eloïse Lang
Le Grand Bain de Gille Lellouche 
Les heures sombres de Joe Wright
Pentagon Papers de Steven Spielberg
Les indestructibles 2 de Brad Bird.



Deux films qui donnent un vent d'air frais dans leur genre 



Sans un bruit de John Krasinski

Sicario 2 de Stefano Sollima 



Deux films WTF



Hérédité d'Ari Aster

Suspiria de Luca Guadagnino

Deux meilleures bandes originales :

First Man de Justin Hurwitz
et 
Suspiria de Thom Yorke

La musique : 

Harvest Moon de Neil Young 
dans Sans un bruit et la série Big Little Lies



Deux ressorties cinéma de l'année



Une certaine rencontre de Robert Mulligan 

JSA de Park Chan Wook. 


Meilleure série TV : 


The Haunting of Hill House de Mike Flanagan (Netflix)

Ma découverte série de l'année : 

Mad Men (intégrale)


Meilleur scénario : 

Martin McDonagh pour Three Billboards 

Meilleur acteur :
Victor Polster dans Girl

Meilleure actrice : 
Vicky Krieps dans Phantom Thread

Meilleur acteur dans un second rôle : 
Ben Foster dans Hostile

Meilleure actrice dans un second rôle : 
Rebecca Ferguson dans Mission Impossible Fallout

Meilleur son :
Mission Impossible Fallout

Meilleure photographie :
Cold War



Le cinéaste contemporain de l'année 2018 pour moi reste Luca Guadagnino, capable d'être aussi virtuose dans un registre classique et la plume de James Ivory que dans une relecture du classique de Dario Argento, plus subversif et audacieux. Il confirme après Amore et le sous estimé A Bigger Splash qu'il est un grand cinéaste un peu trop mis à l'écart. 




Mais c'est surtout pour moi l'année Robert Mulligan. J'ai eu la chance de découvrir Une certaine rencontre en salle, et c'est peut-être ce que j'ai vu de plus virtuose cette année. Ce qui m'a poussé à découvrir Un été 42 et son dernier film Un été en Louisiane. Pas mal de ses films ne sont hélas pas disponibles en zone 2 mais à chaque (re)découverte de ces derniers, je suis émerveillé par son audace et sa subtilité universelle qui traverse le temps, entre le grand cinéma italien et celui d'Elia Kazan. Son film le plus connu reste incontestablement Du silence et des Ombres, chef d'oeuvre oscarisé à juste titre. Je peux  aussi ranger L'Homme Sauvage à ses côtés, contre point audacieux de La Prisonnière du désert toujours avec Gregory Peck. 

Le cinéaste réalise aussi Daisy Clover, sa version plus mélancolique d'Une Etoile est née et signe avec L'autre un film lui aussi audacieux et très moderne dans le genre fantastique et d'horreur. Après Robert Aldrich, Robert Wise ou encore Richard Fleischer, Robert Mulligan est un cinéaste à restituer d'urgence et mérite un cycle entier au panthéon des cinéphiles. Peut-être la résolution de 2019 pour les éditeurs de films ? 



Bonne année cinématographique à tous !