dimanche 8 juin 2014

La Valse des Pantins (The King of Comedy)



A la fin du tournage de Taxi driver, Robert De Niro découvre ce scénario de Paul Zimmermann qu'il s'empresse de proposer à Martin Scorsese. Le cinéaste ne se sent pas impliqué par ce personnage et le met de côté. C'est donc après deux autres collaborations fructueuses en récompenses (New York New York et Raging Bull) que De Niro insiste une nouvelle fois. Devenus entre temps très amis et stars l'un comme l'autre, Scorsese est touché cette fois par le scénario de La valse des Pantins et accepte de le réaliser. Ce fut un nouvel échec commercial à sa sortie (le plus grand du cinéaste) et certainement le plus injustement oublié à l'heure actuelle dans sa vaste et riche filmographie. Cette cinquième collaboration entre Scorsese et De Niro est largement à la hauteur des meilleures, sans doute la plus cynique, grinçante et visionnaire qu'il serait dommage de passer à côté.

Si on peut distinguer une saga Coennienne de l'homme seul chez les frères Coen (Barton Fink, The Barber , A serious man et Inside Lewynn Davis) on peut également en trouver une chez Martin Scorsese avec Taxi driver, La valse des pantins, La dernière tentation du Christ et A tombeau ouvert. Cette saga aux thèmes Scorsesiens est axée sur la folie, les pulsions et les hallucinations de leur personnage principal. Si les Coen sont les spécialistes des losers, celui de Scorsese avec Rupert Pupkin doit sûrement être dans leur panthéon. Ce comique, persuadé de son immense talent, est en recherche de reconnaissance éternelle auprès de ses idoles qu'il essait sans cesse de côtoyer au plus prêt pour s'imposer. Il renoue contact également avec son amour de collège (Diahnne Abbot, la femme de De Niro à l'époque). Rupert tente de la re séduire en affirmant qu'il est célèbre (la scène de l'autographe au restaurant est hallucinante). En etant célèbre Pupkin veut également prouver à son ancien proviseur que c'est un génie et qu'il avait eu tort de l'avoir viré. Pour cela, il est prêt à tout pour avoir son moment de gloire pour être révélé au public. Selon lui il lui suffit d'être vu pour être lancé. Ce personnage atypique de Rupert Pupkin est vraiment passionnant. Tout ce qui a de plus pathétique aux premiers abords et pour le moins effrayant par son culot, sa folie dévastatrice ensuite, Rupert Pupkin est un peu le Travis Bickle de Taxi Driver en plouc opportuniste. Ce dernier souhaite devenir célèbre par n'importe quels moyens. Son délire l'alienne tellement qu'il en est la victime un peu bouffonne au départ pour être ensuite une victime (ou pas) qui passe froidement à l'acte.

Le scénario est signé par le journaliste Paul D Zimmermann. Ce sera son seul script et excursion dans le septième art. Toute l'écriture est d'une incroyable efficacité et avec un sens de la dramaturgie redoutable. La narration hypnotise particulièrement le spectateur en plaçant la folie du personnage principal collée à la réalité. Quand Pupkin s'enferme dans son univers (sa chambre au sous sol) il fait une conversation avec lui même sur un canapé autour de panneaux découpés des ses deux idoles ainsi qu'un grand panneau en guise de public qui l'applaudit. C'est tellement pathétique qu'on prend pitié et de la sympathie pour ce grave cas psychotique. Victime de sa folie dans une réalité on ne peut plus froide et inhumaine, dans un premier temps du moins, le plus vivant, le plus chaleureux et aimable c'est bien lui. La folie s'avère ensuite bien plus dérangeante et grinçante. Le délire se fond lentement dans la narration et rend encore plus mince la frontière encore entre la réalité et le délire du personnage. Stratégie imparable car c'est Pupkin qui devient le prédateur glacial. La satyre sur le show business, les chemins de comédies empruntés sont incroyablement cisaillés et virtuoses. Le scénario repousse les limites en permanence de manière clinique quand Pupkin s'invite de manière incongrue chez son idole Jerry Langford pour finir par séquestrer ce dernier par vexation de s'être fait mettre à la porte. Il va même en profiter pour passer à sa place à la télévision. Folie ou geste intentionné ? C'est à vous de voir car l'ambiguïté est bien présente et savoureuse. La première lecture est une attaque virulente des fans hystériques sur le monde des célébrités, la seconde bien plus dérangeante sur le système du show business, du rêve américain ou même politique. De nos jours on rit bien jaune à l'époque de la télé-réalité. Cette dernière en pleine mode du « m'a tu vu » que nous avons droit ces dernières années se résument entièrement dans la dernière phrase de Pupkin : « Je préfère être roi ne serait-ce qu'une heure que plouc toute ma vie ».

La Valse des pantins oscille en permanence entre le grave, la noirceur, la satyre, le drame, le cynisme sur une trame de comédie un peu policière. Dans le fond il est particulièrement très moderne, atypique et possède un personnage principal extrêmement riche en analyse psychologique. A la fois féroce et drôle, la mise en scène alterne magistralement les scènes de folies oniriques du personnage principal jusqu'à semer le doute. On retrouve un peu le même final de Taxi Driver mais poussé encore plus loin dans la critique et l'abstraction. La question mère sur le cinéma demeure au premier plan : réalité ou fiction ? Rupert Pupkin a t-il à la fin son succès ? Dans les deux cas, la violence, la critique du milieu et du spectateur sont bien présentes, rien est épargné. Le scénario dégage un pamphlet tout ce qui a de plus étourdissant en particulier par des dialogues excellents. Rarement un scénario aussi simple aux premiers abords ne dégage autant de si riches et passionnants thèmes. L'ennui et la facilité ne sont jamais présents dans cette mécanique parfaitement huilée jusqu'à la fin. Le film a aussi la grande particularité d'être en très grande partie improvisé au niveau de l'interprétation. Scorsese est souvent adepte de l'improvisation au niveau de sa direction d'acteur, La valse des pantins est son meilleur exemple. C'est aussi sans doute ce qui rend cette comédie si atypique et qui se démarque de toutes ces comédies millimétrées. 

Scorsese tire le meilleur du scénario par une simplicité magistrale. Pour une des rares fois dans sa filmographie il filme cliniquement et sobrement son film. Avec des plans simples et efficaces, on suit avant tout les personnages et le scénario. Quand l'image est au service du film, c'est uniquement pour déplier la folie de Pupkin. C'est brillamment réussi. Les looks vestimentaires des années quatre vingt ont beau être complètement démodés, le ton honnête et chirurgical du cinéaste fonctionnent avec des acteurs qui jouent à fond. Un peu comme Phantom of the Paradise chez Brian de Palma, on a du mal à imaginer qu'on regarde un film du cinéaste. C'est esthétiquement kitsch mais le message universel et l'aspect visionnaire sont si grandiose que ça passe et demeure même indémodable. A notre grande surprise, c'est également un exercice de style brillant et un tour de force incroyable qui en fait un film atypique, culte et à part dans la filmographie du cinéaste. Scorsese est au moins aussi brillant que du grand Billy Wilder. Le cinéaste a même eu l'idée pour le moins irrésistible de glisser la mère de Pupkin en train de reprendre à plusieurs reprises dans le hors champs Pupkin lui demandant de faire moins de bruit. Cela accentue sa folie (référence à Psychose d'Hitchcock avec la mère poule) et étoffe encore la psychologie de Pupkin. Cette comédie est hors norme car l'humour est très noir, impalpable et imprévisible. La mécanique ample des plans, le jeu des acteurs insatiables ainsi que la richesse du scénario et de la psychologie ne permet en aucun cas de donner un fil blanc narratif.  Inutile de souligner que l'interprétation est impeccable comme toujours. Si Jerry Lewis est impressionnant de sobriété, Sandra Bernhard livre une prestation de fanatique, nymphomane et hystérique pour le moins inoubliable. S'il y a bien un grand coup de chapeau bas à donner c'est bien à Robert De Niro qui est ici dans un de ses plus grands rôles dans la peau de son personnage le plus atypique de sa carrière. Le plan séquence où il signe son one man show final, l'acteur avoue avoir été complètement nu et dépossédé de ses moyens, seul face au public dans la peau d'un humoriste. Une des plus grandes expériences de sa vie d'acteur répète t'il. Sa performance confirme la période où il était est ici au sommet de son art dans des films grandioses, le sommet de sa collaboration avec Scorsese après l'impressionnant Raging Bull.

La Valse des Pantins est pour ma part un des cinq meilleurs films du cinéaste, le plus remarquable pour son côté visionnaire. Si l'équipe ne pensait pas que le film le serait à l'époque, le temps le bonifie indéniablement. Aujourd'hui on n'oserait plus produire un film comme celui là car il ne possède aucun des codes des films produits avec une histoire d'amour, un rythme calculé et grand public de la comédie, une fin fermée, heureuse etc... C'est donc un des derniers films atypiques et typés des années soixante dix réalisés dans les années quatre vingt. Si la forme du film est assez classique, le fond est indéniablement grinçant. Sorti vingt ans avant la télé-réalité, cette comédie noire est une satyre éloquente, pessimiste, visionnaire sur le show business, le rêve américain et des médias qu'il est indispensable de redécouvrir. Peut-être un des meilleurs films du cinéaste de Casino où Robert De Niro compose un numéro d'anthologie inoubliable en Rupert Pupkin. Personnellement je l'apprécie de rediffusion en rediffusion et je ne m'en lasse jamais, bien au contraire. 

Profitez sa récente ressortie en bluray pour vous le procurer, c'est un coup de maître à conserver.

Note : 10/10

La dévédéthèque parfaite dans le même thème :


Network (Sidney Lumet), Quiz Show (Robert Redford) Des hommes d'influences (Barry Levinson) The Truman Show (PeterWeir) ou La mort en direct (Bertrand Tavernier).

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