dimanche 10 août 2014

Seconds - L'opération diabolique



Réalisation : John Frankenheimer. 
Scénario : Lewis John Carlino tiré du roman de David Ely. 
Durée : 1 h 40. 
Interprétation : Rock Hudson, Salome Jens, Will Geer... 
Genre : HitchocKafkaïen. 

Synopsis :

Un homme d'âge mûr, déçu par son existence monotone, reçoit un jour un coup de téléphone d'un ami qu'il croyait mort. Celui-ci lui propose de refaire sa vie en simulant sa mort. Il finit par signer un contrat qui lui permet de changer de visage et de repartir de zéro. Seulement tout a un prix et cette nouvelle existence n'ira pas sans poser quelques problèmes. 

Je vais finir par croire qu'il n'y a que les ressorties cinéma qui me surprennent dans les salles obscures cette année. Quasiment inédit, c'est donc au tour d'un autre grand cinéaste (qui au fil des années est devenu hélas bien plus petit)  de surprendre avec Seconds -L'opération diabolique. Une expérience totale qui vaut assurément le coup d'être vécue. Si le film n'a pas cartonné à l'époque c'est sans doute pour son pessimisme total et prémonitoire qu'il régnera plus dans les années soixante dix. 

En effet ce film des années soixante est un peu trop prémonitoire par ses orientations qui ne seront prises par les cinéastes majeurs de la décennie suivante. On retrouve un peu les grandes lignes du cinéma à la morale pessimiste d'Aldrich à la même époque puis bientôt Peckinpah et Siegel. Seconds est un film comme on en voit hélas trop peu dans le fond même s'il n'est pas parfait à tous les plans. Effectivement, j'ai surtout trouvé la scène de l'orgie pas toujours aussi maîtrisée et utile que le reste même si elle reste étrange et fascinante. Cela donne une cassure au scénario et donne un ton au film très cinéma anglais psychédélique de ces années là. Cette pause est un peu trop longue dans ce thriller mais néanmoins atypique et intéressante. Dommage qu'elle soit si étirée et empêche vraiment le film d'être un coup de maître absolu. 

Sinon c'est un film absolument merveilleux à bien des égards. On retrouve le thriller Hitchcockien dans la pure tradition sur l'identité et la mise en scène mais baigné dans l'univers de Kafka, la manipulation des grands films d'espionnages (le cinéaste avait signé l'excellent Un crime dans la tête) et un côté clinique et dramatique merveilleux qui n'est pas sans rappeler le dernier grand film de Pedro Almodovar La piel que Habito et même son original de l'époque de Georges Franju Les yeux sans visage. Absolument rien n'est là pour caresser dans le sens du poil le spectateur, particulièrement le final d'une violence inattendue et toujours aussi choquante presque cinquante années après. Un véritable choc qui en fait un film culte pour ma part d'emblée. 

Le scénario est assez remarquable sur la façon dont on suit cet homme et nous fait croire à l'improbable : changer de corps en une opération. Tout cela relèverai de la science fiction si tout cela avait été pris plus à la légère mais ce n'est pas le cas. Nous sommes plutôt dans le plaidoyer de la société et de l'espèce humaine profiteuse des êtres faibles du début jusqu'à la fin et cela dans un réalisme et une retenue bluffante. Le message est très fort, très éloquent et toujours très violent. Toutes les manipulations et les ressorts du scénario s'enchaînent comme une mécanique aussi machiavélique qu'implacable de manière pour le moins efficace et choc digne du Fuller The Naked Kiss

Seconds est un film au fond très dérangeant, ambitieux, extrêmement fort dans la virulence de la société sur l'Homme sur la société et la société sur l'Homme plus faible. Avec des allures de thriller complètement pessimiste on se retrouve plutôt dans une lente descente aux enfers dans un paradis vendu. Tout est complètement illusoire bien entendu, et le cinéaste n'est jamais trop démonstratif car le scénario garde sans cesse le cap illusoire et de la vérité par un formidable travail de retenue. Frankenheimer est talentueux et maniéré comme aurait pu être Roman Polanski dans un de ses plus grands films. Une merveilleuse mise en scène très moderne et inventive où techniquement on peut même trouver les caméras attachées aux acteurs , effet qu'Aronofsky a remis au goût du jour avec Requiem for a dream.

On notera un magnifique et inoubliable générique de Saul Bass (encore une fois mais ici certainement un de ses meilleurs) ainsi qu'une musique au poil de Jerry Goldsmith. Ce film est un peu le Brazil des années soixante. Alors que Gilliam faisait croiser La vie rêvée de Walter Mitty et le monde Kafkaïen, ici ce serait plus Kafka et du Philip K Dick dans un monde plus Hitchcockien. C'est juste somptueux et captivant. 

Je vous laisse découvrir par vous-même cette fabuleuse expérience en salles depuis le 16 juillet. Pas de sortie Dvd à ce jour n'est hélas prévue alors je ne peux que vous encourager à surveiller les dernières séances ou sa diffusion sur Paramount Channel

Note : 9/10

La dévédéthèque parfaite dans le même thème :

Brazil de Terry Gilliam, La maison du Docteur Edwardes d'Alfred Hitchcock, Kafka de Steven Soderbergh, The Naked Kiss de Samuel Fuller et La piel que Habito de Pedro Almodovar. 

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