lundi 2 mai 2016

A tombeau ouvert (Bringing out the dead)



Réalisation : Martin Scorsese
Scénario : Paul Schrader
D'après le livre de Joe Connelly
Durée : 2 h 
Interprétation : Nicolas Cage, Patricia Arquette, John Goodman, Ving Rhames, Tom Sizemore...
Genre : Ovni insomniaque 

Synopsis :

Franck Pierce sillonne toutes les nuits dans un quartier chaud de New York à bord de son ambulance. Hanté par les vies qu'il n'a pas sauvé, il essaie de se donner un but dans cette jungle humaine. 

A tombeau ouvert est un film dont j'ai de la chance d'adorer car il n'est pas au goût de tout le monde. Le genre de film dont on entre ou pas du tout, un trip que l'on peut adorer autant que détester. Je trouve que Bringing out the dead (vive les Monty Python) est l'équivalent du Taxi Driver des années quatre vingt dix. Une nouvelle fois on suit un homme en service de nuit qui sillonne dans les rues de New York assez paumé dans sa quête et puis c'est aussi surtout Paul Schrader au scénario. Le film est une peinture d'une ville toujours baignée dans le mouvement et la violence, autant dans la psychologie des personnages que dans leurs actes. Entre humour noir, documentaire précis et émotion, Nicolas Cage campe à la perfection un personnage typiquement scorsesien, un genre de fantôme qui fait un burn out. 

Ce film est avant tout une atmosphère particulière, une osmose de plusieurs genres, de thèmes et de sentiments cinématographiques et subversifs, tous filmés et emballés à la manière d'un trip de drogué. Ou d'un insomniaque qui a du mal à décrocher de la drogue. Le cinéaste, à l'aide d'un montage hypnotique, à l'image de sa sublime photographie, nous transporte dans un New York nocturne comme jamais on a pu le voir à l'écran. Il est à la fois très proche des conditions folles des ambulanciers et du service de nuit, mais aussi dans l'esprit, la bulle du personnage principal. Paul Schrader signe sans doute son scénario le plus simple et le moins démonstratif de sa carrière. Encore une fois, c'est le génie de Martin Scorsese qui rend l'ensemble passionnant avec une cohésion, une maîtrise de ses différents thèmes de manières les plus difficiles qui soient par une déconstruction du temps. Le film nous fait perdre tous nos repères de temps, d'espace et même parfois de morale. On suit un monde que l'on connaît sous un point de vue inconnu pour beaucoup et en plus sous l'oeil d'un insomniaque aussi bon samaritain que névrosé. C'est somptueux sur tous les points. 

Bien que beaucoup penseront que le film ne raconte rien, je dirai même que c'est tout le contraire. A tombeau ouvert est un film qui ouvre à l'interprétation tout le long autant qu'il divertit dans sa forme. A la fois drôle avec ses personnages secondaires et sérieux quand il s'agit de parler de sentiments et psychologie, le film oscille en permanence entre le documentaire impulsif et la rencontre entre deux personnes du même quartier aussi paumés l'un que l'autre. Cela que ce soit sur le plan social que psychologique. Pour ceux qui découvraient le film à l'époque, A tombeau ouvert est un peu un mélange du Temps de l'innocence et de Casino dans un univers à la Taxi Driver. Ce film est un bain musical, peut-être le film de Martin Scorsese où la musique est la plus importante et liée à atmosphère générale. On est bercé par le morceau dingue T.B Sheets de Van Morrison et entrecoupé par des morceaux plus énergiques et pop (The Clash, The Who ou encore Matha and the Vandellas). Il serait vache d'oublier également une belle bande originale d'Elmer Bernstein plus sobre mais aussi efficace que celle utilisée dans Taxi Driver

Le spectateur est donc bercé par une bande originale absolument démentielle et suit un Nicolas Cage dans un quotidien nouveau sous opium, rendant cet ovni comme une parenthèse cauchemardesque sous acide. Ce film est le genre de produit typiquement produit dans les années soixante dix et bien sûr il n'a pas trouvé son public. Il est resté une semaine en salles en France et fut un un échec commercial pour le cinéaste presque aussi cuisant que La Valse des Pantins. Sous une forme différente, les années deux mille iront mieux au cinéaste avec Shutter Island qui a bien cartonné (DiCaprio oblige), son film le plus psychologique depuis A tombeau ouvert. Il y a une cohésion dans l'oeuvre du cinéaste où on y retrouve des thèmes, des lieux et des obsessions mais toujours des films qui reviennent par cycle. Celui-là dresse un état des lieux d'une décennie, qu'elle soit politique sociale ou psychologique, tout reste important et essentiel. Le film reste un des plus beaux film sur New York malgré son sujet sombre et son emprunte pessimiste. Actuellement ce film reste la dernière collaboration avec Paul Schrader et peut-être celle qui atteint le plus d'alchimie, celle où il y a le plus de Scorsese et de Schrader ensemble et non dans une même démarche d'idées comme La dernière tentation du Christ

Cependant ne nous y trompons pas, Scorsese est un cinéaste qui réalise des projets qu'il aime même quand c'est plus commercial. Si on peut considérer qu'il a fait des films mineurs, ce sont des films de commandes maîtrisés. A tombeau ouvert n'a rien d'une commande, d'ailleurs c'est avec le petit succès de son précédent film Kundun qu'il a pu faire ce film produit par Disney (oui oui). Il reste un des plus grands films du cinéaste et celui qui tout simplement marque la force d'un des plus grands cinéastes de notre temps. Un film qui est capable de passer sous multiples points de vues, tons et tempérament tout en gardant le cap et son discours. Scorsese nous a fait le coup avec sa fresque paranoïaque et tourmentée Casino et nous le refait ici d'une autre manière mais avec toujours autant de classe et de brio. 

Nicolas Cage et Patricia Arquette vampirisent l'écran comme dans le cinéma de Jim Jarmusch, les dialogues sont remarquables et les seconds rôles sont brillants (John Goodman, Tom Sizemore et Ving Rhames le top) ne peuvent que confirmer la réussite de cette parenthèse scorsesienne magistrale. Le film le plus fou et le plus hypnotique du cinéaste que je recommande toujours de (re)découvrir, simplement parce que c'est du grand cinéma. Ce qui n'est pas toujours le cas et pour ma part le film se savoure de diffusion en diffusion. Alors vous aurez le coup de coeur aussi ? Ou plutôt le coeur assez accroché ? 

Note : 10 / 10

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